Filière laitière : un pilier français face au défi climatique
La filière laitière occupe une place centrale dans l’agriculture et l’économie françaises. Présente sur l’ensemble du territoire, elle combine un savoir-faire historique, un ancrage rural fort et une chaîne de valeur particulièrement structurée. Mais derrière ce socle puissant, une tension monte. Car cette abondance a un coût : celui d’une filière intensive, émettrice, et particulièrement vulnérable aux aléas du climat. Le lait, produit du quotidien, pèse lourd dans le bilan carbone national. À l’heure où le changement climatique bouleverse les équilibres agricoles, les acteurs de la filière s’organisent, innovent et se mobilisent.
Une filière puissante et structurée
Un bref historique
La filière laitière française s’est structurée après 1945, portée par la modernisation agricole et l’essor des coopératives comme le CNIEL. Les grands groupes à portée mondiale se développent dans les années 80-90 (Lactalis, Danone, Sodiaal), sous l’encadrement des quotas laitiers européens. Depuis la fin de ces quotas en 2015, le secteur fait face à une concurrence accrue et engage une transition vers des pratiques plus durables.
Quelques chiffres
Longtemps symbole de richesse agricole et de savoir-faire industriel, la filière laitière française entre dans une nouvelle ère. Son poids économique reste colossal : deuxième secteur agroalimentaire du pays, derrière la viande, elle représente 43 milliards d’euros de chiffre d’affaires et mobilise 298 000 emplois directs : 150 000 dans les exploitations, 56 500 dans l’industrie, et des dizaines de milliers d’autres dans les services annexes.
Chaque jour, près de 23 milliards de litres de lait de vache sont collectés dans l’Hexagone. La France est le 2e producteur européen de lait derrière l’Allemagne.

Le pays compte 46 262 fermes laitières (CNIEL) et un cheptel de 3,3 millions de vaches, 1,3 million de brebis et 928 000 chèvres. Quatre régions assurent à elles seules 64 % de la production : Bretagne, Normandie, Pays de la Loire et Auvergne-Rhône-Alpes.


CNIEL, L’économie laitière en chiffres, 2024
60 % des produits laitiers fabriqués sont consommés localement, tandis que 40 % sont exportés, principalement vers l’Europe (Italie, Allemagne). Le lait de vache représente 98 % du lait collecté, mais seuls 5,5 % de ces volumes sont en agriculture biologique.

Évolution de la collecte de lait bio (Graphique CNIEL)
Organisation de la filière lait
Cette puissance repose sur un modèle désormais bien connu : des troupeaux de 70 vaches par ferme en moyenne, une productivité élevée (près de 6 800 litres de lait par vache et par an), et une chaîne de valeur organisée en cascade, du pâturage au produit fini.

PRODUCTION
La filière repose sur environ 3,3 millions de vaches laitières, dont 60 % sont de race Prim’Holstein. Les élevages sont concentrés dans l’Ouest de la France : la Bretagne, la Normandie et les Pays de la Loire produisent 55 % du lait national.
La majorité des troupeaux pâturent en extérieur, l’herbe excédentaire étant stockée sous forme de foin ou d’ensilage pour l’hiver. Les élevages utilisent aussi des concentrés alimentaires, souvent issus de soja, de céréales ou de colza.
Une vache laitière boit jusqu’à 100 litres d’eau par jour, produit 30 litres de lait quotidiennement, et consomme environ 70 kg de végétaux par jour.
COLLECTE ET TRAITEMENT
Le lait est collecté toutes les 48 h. Il est ensuite écrémé, pasteurisé et stocké avant d’être expédié. 54 % des collectes sont réalisées par des coopératives, et 46 % par des entreprises privées.
TRANSFORMATION
La France compte environ 744 sites de transformation appartenant à 500 entreprises. Les établissements fabriquent 1 500 produits différents, dont 1 200 fromages.
Les produits transformés se répartissent ainsi :
- 75 % pour la consommation directe (yaourts, fromages, crèmes),
- 25 % pour des usages industriels (lactosérum, poudres, caséines…).

CNIEL, L’économie laitière en chiffres, 2024
COMMERCIALISATION
Les grandes surfaces dominent la vente de lait liquide :
- 54,4 % des ventes sont en marque de distributeur,
- 18,7 % pour Lactel (Lactalis),
- 14 % pour Candia (Sodiaal),
- Le reste pour des producteurs locaux ou des marques indépendantes.
LES GRANDS ACTEURS DU LAIT EN FRANCE
La filière laitière dispose d’un modèle d’organisation unique et performant grâce à son interprofession, le Cniel, créée en 1973 par les producteurs et les transformateurs. Le Cniel remplit deux objectifs principaux : faciliter les relations entre producteurs et transformateurs de la filière laitière et promouvoir l’image du lait et des produits laitiers. Elle porte également le plan de filière élaboré par tous les maillons professionnels : France Terre de Lait.
La solidité de la filière laitière repose sur une chaîne d’acteurs clairement structurée, chacun jouant un rôle essentiel dans la transformation du lait brut en produits finis.
- Les éleveurs laitiers – qu’ils élèvent des vaches, des brebis ou des chèvres – sont les premiers maillons de la chaîne. Ils assurent la production du lait dans des conditions de plus en plus exigeantes.
- Les laiteries prennent le relais en collectant, écrémant, pasteurisant et stockant le lait. Elles sont réparties à parts égales entre coopératives (54 %) et entreprises privées (46 %), avec des modes de gouvernance et des relations aux producteurs souvent très différents.
- Les organisations de producteurs (OP), souvent adossées aux laiteries, représentent collectivement les intérêts des éleveurs lors des négociations commerciales. Dans les coopératives, tous les adhérents en sont automatiquement membres. En France, on compte 51 AOP, 9 IGP, 7 Label Rouge. Environ 22 % des éleveurs de vaches, 88 % de brebis et 26 % de chèvres sont engagés dans au moins une AOP.
- Les laboratoires interprofessionnels, au nombre de 13 en France, réalisent plus de 100 millions d’analyses chaque année sur le lait collecté, afin d’en garantir la qualité sanitaire et nutritionnelle.
- Les établissements de transformation, environ 500 entreprises réparties sur 724 sites, transforment le lait en une multitude de produits : beurre, yaourts, fromages, crèmes, laits UHT…
- Enfin, les distributeurs (grandes surfaces, circuits spécialisés) assurent la mise en rayon des produits, tandis que les exportateurs valorisent le savoir-faire laitier français à l’international.
La France abrite cinq groupes majeurs du secteur laitier :
- Lactalis (Président, Lactel, Galbani…), n°2 mondial du fromage ;
- Danone (Activia, Danette…), n°1 mondial des produits laitiers frais ;
- Sodiaal (Candia, Yoplait…), 1er groupe coopératif laitier ;
- Savencia (Caprice des Dieux, Elle & Vire…), n°1 des spécialités fromagères ;
- Bel (Vache qui rit, Kiri, Boursin…).
Ces groupes opèrent en lien étroit avec des coopératives locales : Sodiaal, Laïta, Isigny Sainte-Mère, Eurial… Les coopératives jouent un rôle clé dans l’accompagnement des exploitants.
L’impact climatique d’un produit du quotidien
Le lait est un produit central dans l’alimentation française… mais aussi un produit à forte intensité carbone. Chaque litre de lait de vache cru génère entre 0,9 et 1,2 kg de CO₂e. Ce chiffre peut grimper à 1,4 kg pour du lait demi-écrémé, en raison des traitements supplémentaires.

En comparaison, le fromage – notamment à pâte dure – est encore plus impactant : jusqu’à 1 000 g de CO₂e pour 100 g de grana padano, par exemple.
L’essentiel de ces émissions est concentré à la ferme, avant même la transformation. On estime à l’échelle globale que :
- 40 % des GES proviennent de la digestion entérique (le méthane issu des ruminants),
- 50 % sont liés à la production des aliments pour bétail (notamment soja importé),
- 10 % seulement concernent la transformation, le transport et le conditionnement.
L’alimentation est donc un levier critique. Car si 93 % des fourrages et céréales sont produits sur les exploitations elles-mêmes ou localement, les 2 à 5 % restants, souvent issus de soja importé, sont les plus émissifs. À cela s’ajoutent les engrais, l’énergie utilisée pour la traite, et les pratiques d’élevage intensif. Le lait est ainsi l’un des produits alimentaires les plus impactants, devant la viande porcine ou la volaille.
À l’échelle d’un groupe transformateur, le constat est sans appel : le scope 3 – en particulier l’amont agricole – représente la majorité de l’empreinte carbone. Le Groupe Bel, par exemple, émet 6,4 tonnes de CO₂e pour une tonne de produit vendu, dont plus de la moitié provient de l’élevage.
Les enjeux de la filière lait face au réchauffement climatique
Le réchauffement climatique affecte déjà les bovins laitiers, et ses effets risquent de s’intensifier dans les années à venir. Les impacts touchent à la fois leur reproduction, leur alimentation, leur comportement, leur santé et, in fine, leur capacité à produire du lait. Les éleveurs doivent faire face à plusieurs défis :
- Baisse des rendements fourragers : l’augmentation des températures et l’irrégularité des précipitations affectent la quantité et la qualité des prairies, réduisant les apports nutritionnels disponibles pour les animaux.
- Adaptation des pratiques agricoles : les éleveurs doivent ajuster les périodes de récolte, diversifier les cultures fourragères et parfois recourir à des intrants plus coûteux, ce qui fragilise l’équilibre économique des fermes.
- Hausse des émissions de méthane : les conditions climatiques plus chaudes et humides accentuent la production de méthane liée à la digestion des ruminants, alourdissant le bilan carbone du lait.
- Stress thermique et santé animale : les fortes chaleurs augmentent le risque de maladies, perturbent la reproduction et affectent la production laitière, avec un impact direct sur la performance et le bien-être des troupeaux.

Certaines régions du sud ont perdu 30 % de leur production depuis 2010. La baisse de rentabilité met en péril la transmission : 2 à 3 départs pour une seule installation.
Les leviers concrets pour une filière lait plus résiliente
Alimentation locale et sans soja importé
La part importée des aliments est faible (2 %), mais concentrée sur des produits à fort impact (tourteaux de soja d’Amérique latine). Les substituer par du colza ou des fourrages locaux permet de diminuer jusqu’à 25 % des émissions de la ration.
Pâturage et haies
Le développement du pâturage, la plantation de haies, l’implantation d’arbres offrent de multiples bénéfices : stockage carbone, bien-être animal, régulation hydrique, protection contre les aléas climatiques. En France, plus de 92 % des vaches sortent en pâture, mais les pratiques varient fortement selon les régions et les modèles.

Réduction des jours improductifs
Le pilotage des troupeaux permet de détecter les maladies, d’optimiser les périodes de vêlage, et de réduire le nombre de jours où la vache ne produit pas (et émet du méthane sans produire de lait).
Méthanisation, énergies renouvelables
L’installation de méthaniseurs permet de valoriser les effluents et de produire de l’énergie locale. Améliorer les bâtiments (ombrage, ventilation, isolation) permet aussi de rendre les exploitations plus sobres et autonomes.
Comment mettre en place l’effort collectif de la filière lait ?
La baisse du nombre d’éleveurs (-3 %/an), la hausse de la demande mondiale, les coûts de l’alimentation et les sécheresses poussent la filière à se réinventer. De nouveaux modèles émergent : plus régénératifs, plus territorialisés, plus coopératifs.
Mais le mouvement reste à renforcer. Car transformer la filière exige une dynamique collective :
- des acheteurs capables d’intégrer des critères environnementaux dans leurs contrats,
- des coopératives engagées dans la mutualisation des savoirs et des moyens,
- des transformateurs investis dans la traçabilité, la prime carbone et la structuration de filières bas carbone,
- et des éleveurs reconnus et soutenus dans leurs efforts de transition.
Les démarches comme “France Terre de Lait” ou la certification ISO 26000 donnent un cadre commun. L’accompagnement technique et le cofinancement d’équipements sont essentiels pour éviter les ruptures d’approvisionnement et accélérer l’adaptation.
Les entreprises qui intègrent ces enjeux dans leurs achats (via des filières différenciées, des primes carbone, des outils de traçabilité) contribuent à sécuriser l’amont et à réduire leur empreinte scope 3.
La France dispose d’atouts uniques pour bâtir une filière laitière bas carbone compétitive, ancrée dans ses terroirs, valorisant ses savoir-faire… et prête à affronter les défis climatiques de demain.
Chez Agoterra, nous accompagnons les entreprises qui souhaitent réduire leur empreinte carbone en investissant concrètement dans la transition agroécologique de leurs filières agricoles.

Des acteurs comme Hippopotamus, API Restauration ou Coup de Pates ont déjà fait le choix de soutenir l’amont agricole pour bâtir des filières plus durables. Résultat : une sécurisation des approvisionnements, une meilleure traçabilité des produits, et une dynamique collective vers un modèle agricole plus résilient, respectueux du climat, des sols et de celles et ceux qui les cultivent.
Sources :
- Site du Cniel
- Chambres d'Agriculture
- Filière lait de FranceAgriMer
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