Le marché volontaire des crédits carbone : freins et opportunités
Le marché des crédits carbone est en pleine structuration. Pour les entreprises volontaires, c'est un moyen idéal de tendre à l'exemplarité climatique et de se distinguer en adoptant une politique environnementale vraiment rigoureuse. Pour les porteurs de projets environnementaux, c'est l'occasion de multiplier les projets et les leviers de lutte contre le réchauffement climatique.
Alors en tant qu'entreprise, quelles sont les meilleures stratégies à adopter pour se saisir de ce marché émergent ?
La réponse avec Jean-Christophe Roubin, Directeur de l'Agriculture de Crédit Agricole S.A.
Quelle place tiennent les puits de carbone agricoles et forestiers dans l’objectif de neutralité en France ?
La France fait partie des pays signataires des Accords de Paris de 2015, qui visent à atteindre la neutralité carbone pour d'ici 2050. Au niveau national cet accord s'incarne dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), qui fixe pour pour chaque secteur des objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre.
Pour l’agriculture par exemple, il s’agit de passer de 90 millions de tCO2 (Mt eqCO2) en 2015 à 50 millions de tCO2 en 2050.
En France au moins 80 Mt eqCO2 annuels (selon le scénario retenu) sont résiduelles et devront donc être compensées par des puits de carbone (absorption et stockage du carbone), notamment dans les secteurs agricoles et forestiers
Toujours en France, la loi Climat et Résilience de 2021 impose aux compagnies aériennes de compenser l'ensemble des émissions induites par les vols intérieurs au territoire métropolitain. Pour s’acquitter de leur obligation, les compagnies devront utiliser des crédits carbone issus de « programmes de compensation à haute valeur environnementale ». Seront alors privilégiés les projets d’absorption du carbone qui sont situés sur le territoire français et celui des autres États membres de l’Union européenne.
Le potentiel de réduction et de séquestration de la ferme France est théoriquement* très important avec ~ 60Mt additionnels par an
Le potentiel de stockage et de réduction carbone en agriculture française est de 60Mt additionnels par an d’après l’INRAE, tandis le potentiel de stockage carbone de la forêt française s'élève lui à 31 Mt eqCO2.
Comment fonctionne le marché des crédits carbone en France ?
Le marché des crédits carbone volontaire en est à ses balbutiements en France et implique différents acteurs, que l’on peut distinguer en trois catégories :
L’offre de crédits carbone :
- Porteur de projet : met en oeuvre les projets sur le terrain, assure le suivi technique
- Mandataire : mandaté par les porteurs de projet pour faire le lien avec l’administration, entreprendre les démarches de labellisation, suivi de projet, prise en charge du process de vérification : unique interlocuteur de l’Etat
- Intermédiaire : met en relation vendeurs de crédits carbone et acheteurs , avec généralement une plateforme d’intermédiation
- Acteurs de la Data : collecte les données et met à disposition à grande échelle de ces informations dans le but de simplifier les choix stratégiques à mettre en oeuvre pour les agriculteurs ou les entreprises
La demande de crédits carbone :
- Financeur : apportent des fonds en échange (ou non) de crédits carbone. Apporte sa contribution financière en amont de la réduction des émissions
Les organismes de régulation/certification :
- Auditeur : Vérifie les réductions d’émissions, rédige le rapport de vérification qui sera joint à la demande de reconnaissance de réduction
- Etat/organisme publique : édicte les règles, garantit le bon fonctionnement du LBC, approuve les méthodes sectorielles, labellise les projets lbc
- Porteur de méthode : Rédige la méthode de réduction/séquestration (exemple : une méthode validé par le LBC)
À qui s’adressent les crédits carbone agricoles en France ?
- Aux acteurs (entreprises, acteurs publics ou individus) ayant des engagements volontaires, et souhaitant compenser leurs émissions résiduelles de CO2 par l’achat de certificats issus de projets agricoles nationaux sur le marché des certificats :
- Via des intermédiaires qui font le lien avec porteurs de projets
- Via des fonds spécialisés carbone en charge de sélectionner et d’accompagner les projets
- Aux acteurs et écosystèmes locaux (public/privé) souhaitant engager la transition agroécologique de leur territoire, au travers de projets comportant un volet impact carbone mais dont la vocation est bien plus large… dont ils assurent le montage et le financement, avant de réaliser des appels à projets à destination des agriculteurs. Les « certificats » résultant de ces projets deviennent la propriété des acteurs privés qui ont apporté le financement
- Aux industriels de l’agroalimentaire qui souhaitent valoriser auprès de leurs clients finaux les approches vertueuses (et notamment bas carbone) de leur filière d’approvisionnement. Ils accordent un prix premium aux fournisseurs adoptant entre autres des pratiques bas carbone. Les projets agricoles qui en résultent pouvant éventuellement conduire à l’émission de certificats carbone, dont l’industriel pourrait demander ou non la propriété.
Comment le Label Bas Carbone peut aider à atteindre la neutralité carbone nationale en 2050 ?
Créé par le gouvernement en 2019, le Label Bas Carbone (LBC) est un outil de la SNBC permettant la certification de projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et de séquestration carbone dans tous les secteurs (forêt, agriculture, transport, bâtiment, déchets, etc.).
Le Ministère de la Transition Ecologique se voit proposer plusieurs méthodes de réduction ou séquestration, qu’il peut alors accepter ou refuser.
Les méthodologies validées.
Dans la forêt:
- La méthode balivage vise à transformer des taillis forestiers en futaie.
- La méthode boisement consiste à planter une forêt sur un espace qui n’était pas forestier au cours des 10 années précédentes.
- Le reboisement permet la replantation sur des terres forestières ayant subi des dommages importants (tempête, incendie, maladie…).
Dans l’agriculture :
- La méthode Carbon Agri, certifie les réductions d’émissions permises par l’évolution des pratiques agricoles pour des élevages.
- La méthode “Plantation de vergers” vise à planter des arbres fruitiers sur des terres non cultivées à cet usage.
- La méthode “Haies” a pour objectif de fournir un référentiel au bon entretien et à la gestion durable des haies.
- La méthode "Sobac’Eco” a été développée pour encourager une gestion durable des intrants.
- La méthode "Ecométhane" cible la réduction des émissions de méthane d'origine digestive par l'alimentation des bovins laitiers.
- La méthode "Grandes cultures" vise les réductions d'émissions et le stockage de carbone en exploitations de grandes cultures.
Dans le bâtiment:
- La méthode "Rénovation" cible les projets de rénovation de bâtiments avec utilisation de matériaux.
Dans le transport:
- La méthode "Tiers-lieux" cible les projets de réductions des émissions du transport routier par les télétravailleurs salariés qui utilisent des tiers-lieux dans les zones peu denses.
Quel est le potentiel de captation et de réduction de gaz à effet de serre en France ?
Les stocks actuels de carbone dans les sols agricoles Français sont de 6387 MTeqCO2 sur 0-30cm.
Les stocks actuels de carbone dans les sols forestiers Français sont de 5028 MTeqCO2 sur 0-30cm.
Alors, quel est le potentiel de stockage carbone additionnel qui pourrait avoir lieu par l’adoption de pratiques agricoles et sylvicoles durables ?
En agriculture, l’INRAE estime que 21 MTeqCO2 en plus pourraient être stockées et 11 MTeqCO2 pourraient être réduites tous les ans.
En sylviculture, l’INRAE estime que l’adoption de pratiques durables pourrait optimiser le captage de CO2 jusqu’à atteindre + 32 MTeqCO2 par an.
Quels sont les freins à l’achat de crédit carbone ?
- Investissement & Risque : Les projets de transition nécessitent un investissement, même faible, de l’agriculteur (financement, changement de pratiques, charge additionnelle…) et comportent une certaine complexité technique ainsi qu'une prise de risque concernant la production (risque d'amoindrissement).
- Prix : Le prix proposé, de l’ordre de ~30€ par TeqCO2 actuellement pour les projets de captation, est trop bas et ne permet pas une rémunération acceptable incitant les agriculteurs à s’engager.
- Contraintes : Les démarches labellisées sont en cours de développement et n’existent pas encore pour tous les types d’agriculteurs.
- Limitations : La règle de l’additionnalité exclue en partie les agriculteurs les plus vertueux pour lesquels l’amélioration de la qualité de leurs sols (et donc sa capacité de stockage) est plus difficile
Sources :
2020 - INRAE - Etude 4 pour 1000
2017 - I4CE – Potentiel de la demande volontaire de crédits carbone en France
Forest Trends-Ecosystem Marketplace – State of the Voluntary Carbon market 2016
French Business Climate Pledge 2019
https://www.fb.org/market-intel/sustainability-markets-part-4-is-carbon-a-commodity